Figure majeure du renouveau de la scène française dans l’entre-deux-guerres, Gaston Baty (1885-1952) rencontre à ses débuts Firmin Gémier, lui-même entré au Théâtre-Libre en 1892. Marqué par cette rencontre initiale, il débute sa carrière au Cirque d’Hiver de Paris en créant des décors et acquiert une grande sensibilité aux questions scénographiques, notamment aux éclairages. Il signe des spectacles et rejoint en 1921 une société d'auteurs contemporains dont il ne tardera pas à prendre la direction, formant les Compagnons de la Chimère (1922). Après cette aventure, la compagnie Gaston Baty présente des mises en scène au Studio des Champs-Élysées dont il devient le directeur en 1924, ainsi que dans d’autres salles parisiennes.
Metteur en scène et théoricien du théâtre, il crée la Société des Spectacles qui lui permet de publier ses cahiers d’art dramatique, Masques. Grâce au Cartel et à ses créations, les années 1930-1940 représentent une période de consécration pour le travail de Gaston Baty. En 1930, il prend la direction du Théâtre Montparnasse jusqu’en 1942 qu'il confie ensuite à l'actrice Marguerite Jamois.
À partir de cette passation, il se consacre aux marionnettes dont la passion l’habite depuis son enfance en pays lyonnais. « Cette féerie sans fin était l’aboutissement logique de l’esthétique du Cartel »3, confie-t-il. En 1942, il crée la Compagnie des Marionnettes à la française et s’applique à reconstruire l’histoire de cet art, à revisiter son répertoire et à détailler ses techniques de manipulation (la gaine et le fil essentiellement). Il faut un répertoire aux marionnettes : il s’emploie donc à réunir des textes et à en écrire de nouveaux. Il a choisi une marionnette à gaine, à double face, sosie de Guignol : Jean-François Billembois, compagnon menuisier symbole de l’artisanat parisien héros d’une épopée, se déroulant sous la monarchie de Juillet. L’artiste porte le projet utopique d’un tour de France durant lequel l’histoire de chaque province inspirerait un spectacle issu de la rencontre entre un poète, un décorateur et un musicien.
C’est au cours d’un voyage vers Munich que Gaston Baty rencontre Max Reinhardt et découvre le Faust de Georg Fuchs au Künstlertheater. Fasciné, il proposera pour Faust, suite à cela, une mise en scène pour des acteurs et une pour marionnettes, intégrant la tradition du Puppenspiel* de Faust. En 1937, le journaliste Robert Kemp commente le Faust destiné aux acteurs. L’article est remarquable de précisions concernant la scénographie visuelle et « sonore » : « Voici une nouvelle galerie de décors [...] : la bibliothèque de Faust, escalier tournant, dos et nervures de livres blondis par la lampe, globe céleste sur lequel Méphistophélès se juche en équilibre ; paysage vu des remparts, au fusain et à la craie sur feuille bistre ; rue tournante avec image sainte dans la muraille et sa petite lampe perpétuelle [...]. Décors sonores : les cloches de Pâques, le joueur de vielle, les chansons, les bruits de l’éclair et du vent. [...] M. Baty est remonté jusqu’aux marionnettes du Puppenspiel, ou peu s’en faut. [...] »
En 1949, les Marionnettes à la française reconstituent La Tragique et plaisante histoire du Docteur Faust, vieille pièce populaire de marionnettes, telle que Goethe la vit à Strasbourg en 1771 et dont est sorti son Faust. Il n’y aurait eu qu’une tournée en Allemagne. Cet inoubliable Puppenspiel français, en un prologue et sept tableaux, semble être l’œuvre marionnettique majeure de Gaston Baty. Dans ses Mémoires improvisées, Alain Recoing évoque les répétitions «où Baty avait fait construire le castelet, réduction au tiers de la scène du théâtre Montparnasse avec tous ses agencements techniques : cintres, projecteurs, rampes, jeu d’orgue ». Cet affranchissement des castelets forains engage dès lors la marionnette vers les exigences scénographiques que seul le théâtre revendiquait et souligne clairement le glissement de la marionnette vers les grands plateaux. Un camion de sept tonnes et une journée de montage étaient nécessaires pour ce « théâtre-castelet ».
Dans la tradition allemande, les montreurs gardaient le bouffon Hans Wurst (Jean la saucisse) et le dragon volant, mêlant tragédie métaphysique, grotesque et merveilleux. Alain Recoing manipulait Faust, Maurice Garrel, le bouffon et Claude-André Messin, Méphistophélès, « une marionnette à l’impressionnant masque stylisé ». «La dramaturgie du Puppenspiel [...] m’a toujours semblé d’une grande rigueur et d’une perfection d’écriture par l’alternance équilibrée entre les scènes tragiques de Faust et celles en miroir du bouffon Hans Wurst, confie Alain Recoing. [Par ailleurs,] le travail que j’ai dû faire pour le rôle [...] a été déterminant dans mes progrès d’acteur-manipulateur. [...] Nous travaillions avec des poupées d’exercice au masque neutre jusqu’à environ huit jours de la générale. Il s’agissait pour le Maître de faire en sorte que l’interprète pousse aussi loin que possible l’expression du sens de la dramaturgie et du caractère du rôle par la manipulation avant d’ajuster son interprétation au masque et à la silhouette définitive du personnage. Pour Alain Recoing, le metteur en scène qu’était Gaston Baty correspond au « profil du marionnettiste démiurge ». S’adressant aux acteurs ou aux marionnettistes, l’homme de théâtre concevait « sa pratique de la mise en scène comme la maîtrise des agencements de l’ensemble du spectacle : pas seulement le texte, mais la scénographie, la musique, les éclairages, l’interprétation (et, pour les marionnettistes, la manipulation) ».
L’investissement de Baty dans des recherches colossales autour de la marionnette, pour laquelle il reconstitue minutieusement l’histoire de cet art, ses techniques de manipulation, son répertoire, est clairement la preuve de sa participation en profondeur à la reconnaissance des arts de la marionnette.« Dans la transmission de sa génération à la nôtre, il y eut son intervention pour nous faire adhérer au Syndicat des Casteliers parisiens. » Alain Recoing insiste sur cette conséquence historique puisqu’en 1956, « notre génération [avec Yves Joly] a pris en main la direction du syndicat» qui s’est transformé en syndicat national des arts de la marionnette et de l’animation. « L’ouverture d’esprit de Gaston Baty le rendait curieux du renouveau qui se dessinait. Et c’est lui qui nous emmena voir un spectacle d’Yves Joly », se rappelle Alain Recoing